S'enfuir, récit d'un otage ---- Guy Delisle
Cela fait trois mois que Christophe André s’occupe des finances et de l’administration d’une ONG médicale dans la petite ville de Nazran, en Ingouchie, une petite république de Russie située tout près de la Tchétchénie, dans le nord du Caucase. Mais c’est dans la nuit du 1er au 2 juillet 1997, alors qu’il dort tout seul dans un bâtiment annexe qu’il se fait kidnapper. Ne parlant ni russe ni aucune des autres langues de la région, il ne comprend pas ce qu’il se passe. Il espère juste qu’en obéissant à ses ravisseurs et en gardant profil bas, la situation finira par se résoudre par sa libération après négociation avec les Occidentaux. Emmené dans un immeuble en Tchétchénie, à Grozny, Christophe pense que sa captivité ne sera l’affaire que de quelques jours. Mais ceux-ci passent et la routine quotidienne d’un otage s’installe : une pièce vide et fermée, un matelas, deux ou trois repas par jour, seules occasions de voir ses ravisseurs et une paire de menottes qui le relie au radiateur …
Guy Delisle délaisse les récits autobiographiques de voyage pour raconter la vie d’un otage en Tchétchénie à la fin des années 1990. Après avoir rencontré Christophe André de nombreuses fois, échelonnées sur de nombreuses années, et avoir parlé en détail de cette période, l’auteur a mis en image sa captivité. L’album commence par le kidnapping et l’incompréhension de Christophe. Mais celui-ci fait tout pour garder le moral. Les journées passent et se ressemblent et cette ambiance est bien rendue à travers les vignettes où le décor est souvent à son minimum, comme dans la pièce où vit Christophe. Le graphisme est plus anguleux que ce dont on avait pris l’habitude avec ses derniers albums. Mais il faut que le dessin reste sobre pour bien porter les sentiments et impressions du captif et c’est très réussi de ce côté-là. Le choix des tons gris bleuté est aussi très agréable et colle à l’atmosphère mais, par contre, j’ai parfois trouvé les scènes de nuit un peu sombres (il me fallait une bonne lumière pour bien distinguer les choses). Les dialogues ne sont en fait qu’un long monologue de Christophe car ses ravisseurs ne parlent que russe … du coup, même si on les « voit » parler, on est tout aussi perdu que le héros car leurs bulles sont écrites en russe (j’ai un peu appris le russe au lycée mais c’est trop loin pour que cela ait pu être d’une quelconque utilité !). Seules quelques scènes permettent un échange de paroles, ce qui fait que l’ensemble est quand même vite lu malgré l’épaisseur de l’album. On pourrait craindre de la violence compte tenu du sujet mais celle-ci est surtout psychologique : vivre plusieurs semaines dans des conditions pareilles est forcément épuisant au niveau psychique. J’ai trouvé cette lecture originale et intéressante car elle permet de se plonger dans la tête des personnes victimes d’enlèvements et tenus prisonniers par leurs ravisseurs. Qui plus est, il me semble aussi que la bande dessinée était le moyen le plus adapté pour décrire de la façon la plus juste ce qui se passe et comment on peut ressentir cet enfermement. Ce n’était pas évident à faire mais c’est réussi !