Dragman ---- Steven Appleby
Dans un Londres gris et pollué, où les gens peuvent vendre leur âme contre de l’argent permettant de payer les factures ou de réaliser leurs rêves, les superhéros sont devenus habituels et sont les nouveaux justiciers et sauveurs de la population. Affublés de costumes et de masques, ils protègent jalousement leur identité mais se réunissent dans un club qu’ils ont fondé et qui valide leur activité. Pour August Crimp, citoyen à l’apparence lambda, marié à Mary et père d’un petit Gus, c’est par hasard qu’il a découvert son pouvoir : en s’habillant en fille lors de son adolescence, il s’est rendu compte qu’il pouvait voler ! Mais après avoir fait équipe avec Doggirl, il a tourné le dos à la vie de superhéros et à son personnage de Dragman et ne porte plus que des vêtements d’homme, même si cela ne lui plait pas du tout. A part qu’un tueur a décidé de s’en prendre à des femmes trans depuis quelques semaines …
Il y a des titres qui méritent vraiment la qualification de roman graphique et celui-ci en fait indubitablement partie. Mêlant texte et récit dessiné, on plonge dans un univers sombre et lourd, avec un Londres futuriste mais pas attirant pour deux sous : tout est pollué, les gens semblent plutôt survivre que vivre et on peut dorénavant vendre son âme. Où va celle-ci une fois vendue ? Qui l’achète et à quoi peut-elle servir ? Comment les gens devenus sans âme vivent-ils après la vente ? Tout ça est révélé au fil des pages mais c’est vraiment original et bien bâti ! Le côté plus positif, c’est la présence des superhéros divers et variés, chacun ayant son propre pouvoir (voler, sentir, influencer le destin, attraper les gens au vol, se déplacer n’importe tout en un instant ...) mais même cet univers n’est pas exempt de défaut et tous les super-héros ne sont pas forcément des gens sympathiques et tolérants. Et puis, il y a des meurtres de femmes et filles trans, ce qui donne un petit côté policier à l’ensemble car il y a une enquête pour savoir qui est le tueur et ses motivations. L’ensemble s’axe aussi sur la différence et la place des gens qui ne rentrent pas dans les cases habituelles de nos sociétés. Le héros est August Crimp, un homme qui adore s’habiller en femme mais qui a du mal à s’assumer cette habitude et qui opte pour une vie considérée comme « normale ». L’auteur s’est d’ailleurs inspiré de lui-même pour bâtir le personnage d’August, car il est transgenre, s’habillant en femme et il a eu aussi du mal à s’assumer (j’ai utilisé le « il » mais j’aurais tout aussi bien pu utiliser le « elle ») ! Le graphisme est assez simple dans les personnages mais reste quand même détaillé, surtout dans certains décors et pourrait même paraître un peu enfantin. Pour ne pas perdre les lecteurs, les flashbacks sont de couleur gris-bleu alors que le reste est plutôt joliment coloré. Le dessin n’est pas enfermé dans des cases mais le découpage reste assez classique, même s’il y a des scènes qui s’étalent sur une page ou une double page de façon régulière, ce que j’ai apprécié car cela donne comme une sorte de respiration dans la lecture (le reste m’a paru parfois un peu tassé à cause du format de l’album). Même si j’ai relativement apprécié le livre au niveau graphisme sans pour autant en raffoler, j’ai surtout aimé l’histoire et la façon dont elle se développe. L’idée de vendre son âme n’est pas nouvelle mais elle est vraiment abordée ici de façon originale et l’utilisation des superhéros n’est pas nouvelle non plus mais là encore, c’est bien différent de ce qu’on imagine habituellement sur ce sujet. Pour finir, le message qui passe dans le récit au sujet de la différence, de l’acceptation de soi, de la tolérance et de l’empathie, des relations d’amitié et d’amour, est probablement la plus grande réussite de l’album à mes yeux !