Le voyage de Marcel Grob ---- Philippe Collin et Sébastien Goethals

Marcel Grob, octogénaire, est arrêté chez lui et emmené chez un juge qui va l’interroger sur son passé. Le vieil homme ne comprend pas les questions du magistrat, qui l’accuse d’avoir fait partie des Waffen SS pendant une partie de la seconde guerre mondiale. Mais devant la présentation de son livret militaire, Marcel finit par raconter son histoire. Alors qu’il atteint ses dix-sept ans, l’Armée allemande enrôle de force tout jeune homme alsacien en âge de se battre, les menaçant de représailles envers leurs familles s’ils ne se présentent pas à la convocation. Marcel s’y rend donc en compagnie de plusieurs de ses camarades et voisins. Inquiet pour son affectation, effrayé par la guerre et ses dérives, ne voulant pas aider les Allemands mais ayant peur de ce qui pourrait arriver en cas de fuite de sa part, Marcel se voit obligé de prêter serment et allégeance à Hitler. Il est affecté à la 16^ème division SS de Panzer grenadiers et est envoyé dans le nord de l’Italie …

On ne parle pas souvent des cas d’enrôlements forcés des hommes alsaciens et lorrains dans l’Armée allemande et cet album corrige cet oubli. Il est vrai que cette région, frontière fluctuante entre deux pays souvent ennemis, a beaucoup souffert des guerres et la population a payé un lourd tribut à différents niveaux. Ici, l’auteur et journaliste Philippe Collin s’est inspiré de l’histoire de son grand-oncle Marcel Grob avec qui il avait coupé les ponts en apprenant son enrôlement dans les Waffen SS avant de découvrir, dix ans après sa mort, que son grand-oncle n’avait jamais été volontaire et était un « malgré-nous ». Il a donc voulu montrer à travers cette histoire la difficulté de ces jeunes hommes mobilisés de force, menacés de représailles et forcés à agir contre leur volonté et leur morale. On suit Marcel Grob juste avant d’être mobilisé jusqu’à la débandade de l’Armée allemande et l’arrivée des Alliés. On découvre son parcours, les relations qu’il a avec ses camarades alsaciens et avec les Allemands (dont un officier très cultivé et très francophile qui le prend un peu sous sa protection). Il participe à des opérations, dont le terrible massacre de Marzabotto, un village italien et à chaque fois, le récit, qui alterne entre les souvenirs passés et l’interrogatoire du juge, met en avance les motivations, les peurs, les raisons d’agir ou non. Cela crée un récit humain et très réaliste, où tout lecteur peut se demander ce que lui-même aurait fait dans ces conditions où aucune décision n’est simple ou facile à prendre. Le dessin est superbe, soigné, détaillé mais tout en finesse, très réaliste, avec deux atmosphères propres à chaque époque : des gris et des sépias doux pour les souvenirs de guerre et des couleurs plus affirmées pour la confrontation avec le juge. D’ailleurs, à propos des scènes avec le juge, j’ai souvent été mal à l’aise en les lisant mais ce malaise a disparu à la fin quand j’ai compris qui était ce juge et ce qu’il représentait (c’était une idée originale mais pour la comprendre, il faut quand même en être rendu presque à la fin !). Montrer plusieurs « malgré-nous » aux attitudes différentes a aussi été très intéressant et montre bien que chaque cas pouvait être différent. Une lecture que j’ai trouvée passionnante, sans jugement ni parti pris, qui laisse le lecteur se faire son propre avis sur une question sensible souvent laissée de côté dans les manuels d’Histoire.

L'avis de Aproposdelivres.

Comments

[Karine]

C'est fort intéressant ça... je ne connais pas du tout cette partie de l'histoire.

[Noukette]

De plus en plus envie de découvrir cet album...! Sa lecture doit quand même sacrément remuer !